C’était un soir tranquille
Comme il y en a peu
Un samedi d’avril
D’un printemps lambineux
À la fin de l’hiver
Dans l’entre-deux saisons
Une journée sans calvaire
Et sans résurrection
Parfois au Purgatoire
Ils venaient s’étancher
« Garçon apporte à boire »
La nuit était lancée
Était-ce des amis
Nul n’en savait trop rien
Ils étaient là assis
Liés par le destin
On aurait dit deux frères
Que tout a séparé
Deux vieillards ordinaires
Rongés par les années
C’était un soir de trêve
Où le calme régnait
Une nuit bien trop brève
Pour refuser la paix
Le premier un peu blême
Barbe hirsute blanchie
Pâli par le carême
Sirotait son whisky
L’autre plus fanfaron
Souffrant de la chaleur
Avec le rouge au front
Abusait des liqueurs
La même discussion
Recommençait sans cesse
Le mauvais et le bon
Le plaisir ou la messe
Épuisés du débat
Nos deux protagonistes
Choisirent cette nuit-là
Un thème à l’improviste
Voyant un funambule
Sur le fil du temps
Les compères noctambules
S’entendirent tout bonnement
Parlons donc d’équilibre
Proposa le plus sage
Crois-tu les hommes libres
D’en faire bon usage
Le deuxième répond
L’humain a deux visages
Un pour les intentions
Un pour le sabordage
Et le tenancier dit
C’est moi entre vous deux
Quand un de vous sourit
C’est l’autre qui m’en veut
Je dois servir les deux
C’est dans l’ordre des choses
Je me fous de vos jeux
De ce qui vous oppose
Je n’ai pas le loisir
De ne servir qu’un maître
Ni devoir ni désir
Ne peuvent me soumettre
Je vais de table en table
En faisant de mon mieux
Parfois je sers le diable
Et parfois je sers Dieu.