Belle vous dites ?
Belle vous dites ?
Quel piètre raccourci
Elle n’a rien de ces belles
De celles dont on se lasse
Fidèles aux goûts du jour
Formatée, convenue
Attendue facile
…
Ni de cette illusion
Qui habille sans effort
Du vent de la jeunesse
La dernière venue
Lisse et parfaite peau
Bien plus jolie que belle
Mirages éphémères
Des déserts sans amours
…
Rien de cet esthétisme
Des désirs ordinaires
De ce ciel trop bleu
Qui se noie dans la mer
D’un champ de coquelicots
Sur un parfait azur
D’une lune figée
Trop pleine de clichés
…
Vous ne comprendriez pas !
…
Elle porte dans son regard
Tout ce qui me fascine
Aux frontières de la peur
Aux portes de la mort
Une preuve de vie
…
Puissante et magnifique
Comme un ciel en colère
Vivant et vigoureux
Un orage qui gronde par un soir de juillet
Quand la foudre fend l’air
Illuminant le ciel
D’une ville bleuie
De ces flashs sans fin
…
Tel un raz-de-marée
Se heurtant aux falaises
D’une côte escarpée
Surplombée de l’église
D’un modeste village
En ayant connu d’autres
…
Comme la foudre précise
Qui s’abat sur sa cible
Le plus grand des grands chênes
Et qui y met le feu.
…
Une beauté de vertige
Qui aspire et fait peur
Comme l’appel de la mer
Ou le chant des sirènes
…
Une beauté qui réveille
Au plus profond de l’âme
L’espoir d’un nouveau jour
L’idée d’un nouveau monde
Comme la révolution
Fait naître le courage
Des êtres exploités
…
Vous ne comprendriez pas
Quoi que je vous en dise
…
Mais si dans l’au-delà
Les chefs-d’œuvre ont un lieu
Musée ou Panthéon.
De tout l’art d’ici-bas
On lui garde une place
Pour après son trépas
…
Vous ne comprendriez pas
Quoi que je vous en dise
…
Il vous faudrait mes yeux
Et mon âme et mes tripes
Il faut être poète
Ou amoureux ou fou
Pour savoir s’émouvoir
…………………
©Gilles St-Onge
Février 2023
Des mains
On est si seul au fond d’son verre
Au bout d’la ligne ou du mégot
Bouffé par les remords d’hier
Rongé par ses propres ragots
*
On est tout seul au fond d’sa bière
Au cimetière des assoiffés
À graver sur sa propre pierre
Ci-gît l’homme né condamné
*
On est souvent trop seul sur terre
Pour porter sa croix son fardeau
Ses peurs ses soifs et ses misères
Tout seul au fond de son tonneau
*
On est toujours seul en enfer
À boire sa vie jusqu’à la lie
À respirer du blanc désert
À gober du faux paradis
*
Toujours seul dans sa dépendance
Malgré la foule des faux amis
Malgré tout l’amour qu’on quémande
Tout seul jusqu’à son dernier cri
*
Ce cri qui crève cet enfer
Dans lequel on est emmuré
Est entendu de l’univers
Comme celui d’un nouveau-né
*
Et tu n’es plus tout seul au monde
Des mains se tendent par dizaines
Des mains hier encore immondes
Des mains des mains…
Comme la mienne
*********
©Gilles St-Onge
Auriez-vous vu la lune ?
Auriez-vous vu la lune
La belle de minuit et de mes nuits d’ennui
Je crois qu’elle s’est perdue
Dans un trop clair matin
Dans un trop clair de lune
Elle s’est évanouie
Sur le pas de mon huis
Auriez-vous vu la lune
La lune et les étoiles sont d’une même toile
Mais on ne la voit plus
Dans le soir qui s’étiole
Déjà depuis la brune
La nuit s’est assoupie
Sur un autre pays
Auriez-vous vu la lune
Celle qu’on offre à cell’ dont les yeux étincellent
J’en aurais bien besoin
Oui c’est pour un cadeau
Quoi C’est déjà trop tard
Elle est partie la lune…
…
Pour couvrir de promesses
Il faut de la jeunesse
© Gilles St-Onge
VIVRE
Partager l’éphémère
Un instant de paresse
Un moment de silence
Une goutte de pluie
Un temps de tempérance
*
Sublimer les enfers
En paradis terrestre
Magnifier l’ignorance
Être simple d’esprit
Et entrer dans la danse
*
Kidnapper la misère
Se saisir des faiblesses
Rire de l’opulence
En faire des confettis
Retourner à l’enfance
*
Se moquer de nos pairs
Et de nos maladresses
Chanter notre excellence
Et nos impairs aussi
Jouer de l’ambivalence
*
Oublier les calvaires
Les matins de tristesses
Pardonner les offenses
Aux lourds nuages gris
Et les maigres pitances
*
Rêver d’un cimetière
Rempli
de leurs richesses
Belles comme une potence
Trônant sur le parvis
D’une église un dimanche
*
Souffler un lampadaire
Par une nuit d’ivresse
Éteindre la méfiance
Allumer la bougie
Le feu de l’espérance
L’ancêtre
L’horloge tourne
À chaque tour le cœur faiblit
Decrescendo
Tout doux tout doux sans faire de bruit
Il bat toujours et tinte encore
Mais le silence l’envahit
Un silence qui fait trop bruit
*
L’horloge tourne
Les rêves se font plus petits
Rallentando
Et rêver demande un effort
Comme un cortège sous la pluie
Le pas est lourd le ciel est gris
*
L’horloge tourne
Et l’âme même s’abrutit
Smorzando
Lueur au bout du corridor
La nuit a déjà fait son lit
Sans déranger il est parti
*
© Gilles St-Onge
Ça y est les bombes pleuvent.
Des vraies bombes ! pas comme celles qui tombent sur un quelconque Pakistan, l’obscur Yémen ou la famélique Éthiopie. Pas des bombes islamistes de l’Afghanistan ou de la Syrie. Non ! Des vraies bombes capables de faire plus que deux minutes au journal télévisé. Des vraies de vraies, pas des roquettes de Palestiniens ou de Libanais achetées au rabais, au marché aux puces des producteurs de tueries. Des vraies bombes, flambant neuves, le nec plus ultra de la barbarie moderne.
Des vraies bombes qui font des vrais morts.
Pas des morts ordinaires, pas des « pertes civiles » pas des « morts chez les insurgés » ni des « victimes collatérales ». Nom monsieur, des morts presque pareils aux nôtres. Des morts tout roses, une femme enceinte et son bébé, des fillettes blondes aux yeux bleus, de bonnes vieilles grand-mamans et même -oh horreur ! – Des journalistes.
Le loup est entré dans la bergerie, comme le firent les loups dans Paris, dans une autre guerre. Le loup est entré et les bergers tergiversent. Ils palabrent, ils sous-pèsent ils « conciliabulent », ils «diplomatisent », ils parlementent… sans réponse.
Les bergers savent que le loup a de trop grandes dents et se questionnent sur son appétit. D’ordinaire, il suffit de lâcher un autre loup plus vorace que le premier et les moutons dorment en paix, mais pas cette fois. Cette fois, le monstre menace les bergers autant que les moutons. Cette fois, c’est autre chose.
Et des questions se posent !
Faut-il fléchir devant le tyran et si oui, jusqu’où ira-t-il ? Faut-il oui ou non faire cette troisième grande guerre ? Ou faut-il, parce qu’un salaud a le cul bien au chaud sur l’arme nucléaire, le laisser grignoter le monde à sa guise ?
Aujourd’hui chaque dirigeant d’un pays qui ne possède pas la bombe atomique comprend qu’il est seul et que personne ne viendra à sa défense si l’un ou l’autre des Poutine de ce monde décide de l’envahir. Depuis 20 jours maintenant, le monde entier comprend que la souveraineté n’existe plus. Aujourd’hui c’est l’Ukraine, demain ce sera Taïwan. Ce soir nous savons que désormais, toutes les guerres sont perdues d’avance.
Avant de partir
J’ai ouï les pleurs éternels
Le vent porteur des alibis
Entonner la chanson cruelle
Des hiboux de la longue nuit
*
Mes vieux os usés qui s’effritent
Au gré des mouvances du corps
Faible feu de bois qui crépite
Chaque jour de moins en moins fort
*
Et cet abdomen qui déborde
Par gourmandise ou par mégarde
Mes artères qui attendent l’ordre
De l’assaut sur mon myocarde
*
Ces airs lointains qui se rapprochent
Au prix des années qui s’étirent
L’écho des premiers coups de pioche
Sur la terre où j’irai gésir
***
Mais si je sens déjà le chêne
Celui dont on fait les cercueils
Je ne veux pas quitter la scène
Avant d’en avoir fait mon deuil
*
Il reste tant et tant à vivre
Et si peu de temps pour le faire
Tant de ces beautés qui m’enivrent
Et autant de choses à méfaire
*
Il me reste encore à croiser
Un regard à déjouer le sort
Sur l’avenue du verbe aimer
Un sourire à tromper la mort
*
© Gilles St-Onge
Marche ou Kiev
Triste et lugubre défilé
Des enfants porteurs de valises
Parents chargés d’inquiétudes
*
Triste et lugubre défilé
Cortège en pleurs aux pas funestes
En quête de sollicitude
*
Triste et lugubre défilé
Marchant vers un quelconque ailleurs
Au rythme de l’incertitude.
*
Triste et lugubre défilé
En marge de l’humanité
Fuyant sa propre finitude
*
Triste et lugubre défilé
Aux allures de retour d’histoire
L’Europe a ses assuétudes
*
Triste et lugubre défilé
En continu à la télé
L’horreur devenue habitude
*
Triste et lugubre défilé
Les chars ont piétiné les rues
Sous le poids de leur certitude
*
Triste et lugubre défilé
Des brancardiers les bras trop pleins
De ceux qui invoquent Saint-Jude
*
Triste et lugubre défilé
Les chefs d’État discourent encore
Et palabrent par habitude
*
©Gilles St-Onge
J’en appelle à Bacchus
Vois-tu j’étais hier
Noyé dans la bouteille aux effluves sournoises
J’étais tout à la fois prospecteur d’euphories
D’illusions vaporeuses en quête d’immanence
Drapé dans la parure des richesses en papier
*
Soûlé par l’arrogance de celui qui se ment
J’étais par défiance symbole d’hérésie
Quitte à changer d’idées de dogmes et de croyances
Pour mieux me camoufler dans mes contrariétés
Et pour me délester du poids de mes tourments
*
Crois-moi j’étais hier comme un roi sans habits
Dénué de noblesse d’honneur et d’espérances
Dépourvu de raison à jeun comme enivré
Envoûté condamné aux pires châtiments
*
Je me suis retrouvé
Pareil à l’accusé qu’un sombre jury toise
*
J’ai imploré Bacchus — on a le dieu qu’on peut —
Je n’avais pas confiance en celui qui disait
« Prenez buvez-en tous » pour arrêter l’ivresse
Or Bacchus et les autres dans un conciliabule
Mirent dans la balance bonne foi et mauvais foie
*
Et j’obtins un sursis pour ce jour seulement
Depuis chaque matin j’en appelle à Bacchus
Pour qu’il fasse un miracle
Changer mon vin en eau
****
© Gilles
*
*Publié le 14 février 2022, à l’occasion de mon dix-septième anniversaire d’abstinence
Mes avoirs
Mes avoirs
J’ai
Pour cueillir ce matin
Une main fatiguée
Une autre mal-aimée
Deux bras à bout de souffle
Et un cœur en lambeaux
*
Une poignée de regrets
Qui sommeillent encore
Une poignée de remords
Ces deux mains qui s’essoufflent
À porter le flambeau
*
Un lot d’hier usé
Un encombrant bagage
Pour un trop court voyage
Et des mots qui m’étouffent
Lestés de ce fardeau
*
Des épaules trop frêles
Un dos de mendiant
Un ventre bedonnant
Trop de peurs qui me bouffent
Des litres de sanglots
****
Et je me dis que
****
J’ai
*
Un beau matin tout neuf
Pareil à ces matins
Qui ne piétinent rien
Un matin en pantoufle
Devant un café chaud
*
Un beau jour qui se lève
Rempli de jamais vu
Propice à l’imprévu
Comme un tout nouveau souffle
Caressant le roseau
*
Une petite brise
Qui m’effleure la peau
Un vent de renouveau
Que le soleil camoufle
Dans le chant d’un oiseau
*
Et du sang dans mes veines
Un cœur qui bat toujours
Un vieux rêve d’amour
L’espoir qui m’emmitoufle
Et qui me garde au chaud
© Gilles St-Onge