Le départ des outardes

On assiste un matin

Au départ des outardes

Triste mais résigné

Comme au chevet d’un vieux

Que l’on voit s’en aller

Sur le dernier chemin

Et qui pourtant s’attarde

Serein paisible heureux

*

Dans mon pays de glace

Aux étés rétrécis

Septembre est trop pressé

De devenir octobre

Vieilles charnières rouillées

Support de la carcasse

Des portes dont l’ennui

Lui font porter l’opprobre

*

Si juillet est léger

Ses amours sont frivoles

Rêveries passagères

Le temps des capucines

Euphories éphémères

Passions exacerbées

La joie prend son envol

Mais le bonheur piétine

*

Je laisse à mes « hiers »

L’instant des amourettes

J’ai vu trop de printemps

Se faner dans l’automne

S’effeuiller dans le vent

Au jardin des misères

De cœurs qui se désertent

Un matin monotone

***************

             II

On assiste un matin

Au départ des outardes

On se met à compter

« Je ne suis pas si vieux »

On fait un pied de nez

Aux affres du destin

On nargue la Camarde

On s’offre un dernier vœu

*

S’il faut aimer encore

Que je sois revêtu

D’un manteau de toundra

Couleur de conifère

Qu’une épinette soit

Mon étoile du Nord

Et l’amour plus têtu

Que les plus longs hivers

© Gilles St-Onge

À Françoise

Pour apaiser son cœur son âme et son esprit

Face à l’absurdité devant l’inconcevable

Le peintre a ses pinceaux et le poète écrit

L’espace d’un instant tuer l’inéluctable

*

Il nous faut pour survivre à cette vie fugace

Et l’amour et les mots pour nommer la beauté

Trier ses souvenirs tamiser les années

Faire fi un instant de nos instincts sagaces

*

Pour sublimer la mort et apaiser la vie

*

Du plus petit Mozart au plus grand troubadour

De la simple chanson au plus grand requiem

Chacun à sa façon cherche à sortir du jour

Faire le temps d’un songe un ultime détour

*

Et pour garder d’hier une preuve de vie

On sculpte dans la pierre depuis l’aube du monde

Comme on prend des images vivantes aujourd’hui

Les visages de ceux dont nos mémoires abondent

*

Pour sublimer la mort et apaiser la vie.

*

L’existence souvent se pare de dorures

Aux effets placébos sur le mal ordinaire

Des marcheurs qui suivent la voie des sépultures

L’art est un sucre doux sur un fruit bien amer

*

Il faut tant de talent pour transcender sa peine

Et bien plus que des mots pour se dire poète

Il faut fleurir les roses au temps des chrysanthèmes

Je n’ai pas ce qu’il faut avec mon cœur en miettes

*

Pour sublimer la mort et apaiser la vie.

*

© Gilles St-Onge

Expiation

Il viendra ce matin

Ou ce jour ou ce soir

Au voile de satin

Ou cette nuit barbare

Dans son moiré brouillard

Si je veille trop tard

*

Il viendra ce moment

 D’aiguilles arrêtées

À vous glacer le sang

Ce vertige imposé

Au sommet des rosées

Sur une aube perchée

*

Et viendra cette faille

Entre hier et demain

Et ce champ de bataille

Où espoirs et chagrins

Entonnent le refrain

Des funestes destins

*

Et entre les volets

Un clin d’œil entrouvert

Éblouissant reflet

D’un printemps sur l’hiver

Entre froidures amères

Et débâcle en rivière

*

Viendra cette cassure

Offrande de la vie

Dans le trop épais mur

Qui nous garde à l’abri

Des assauts des lubies

Des cœurs irréfléchis

*

Et naissant de la mort

Cette résurrection

La noirceur qui s’endort

 Au réveil des saisons

L’heure de la moisson

 Des blés de rémission

*

Et je rirai du feu des enfers

Enragé

D’avoir perdu au jeu

De l’éternel damné

Quand des dieux

Pardonné

Je te rencontrerai

*

*

© Gilles St-Onge

Le legs

Ténacité de l’éphémère

J’entends déjà le temps d’après

Chuchoter entre deux regrets

Qu’on ne gagne jamais sa guerre

Qu’il me faudra céder le pas

Or autant partir du bon pied

Quitter dans un brin de noblesse

Ne pas avoir l’impolitesse

De finir sur un pied de nez

Et m’en aller ab intestat*

Que les notaires se le disent

Ils ne me verront pas chez eux

Énumérer à l’encre bleue

La liste de mes marchandises

Banalités de l’ici-bas

La terre appartient à la terre

Comme le sourire au visage

La possession est un mirage

Une plage dans un désert

Que l’océan ne rejoint pas

Et je n’écrirai pas non plus

Le programme du dernier jour

Quand j’aurai fait mon dernier tour

J’aurai suffisamment vécu

De grâce n’en ajoutez pas

Quand un poète même mauvais

Sent sa plume lui glisser des mains

Rendu au bout du parchemin

Il sait que le travail est fait

Que tout est écrit çà et là

Mes enfants mes amis mes frères

Pour tout legs je n’ai qu’un secret

Ne laissez jamais vos regrets

Teinter l’amour d’un goût amer

Le temps ne les emporte pas

—–

*sans testament

—–

© Gilles St-Onge

<p class="has-drop-cap" value="<amp-fit-text layout="fixed-height" min-font-size="6" max-font-size="72" height="80">     Février 2021     Février 2021

Confession Païenne

Les dieux et les démons sont du même acabit

Ils conduisent à l’ivresse pareils à ce bon vin

Promesse de bonheur qu’on boit jusqu’à la lie

Et qui sournoisement se transforme en chagrin

*

Je ne suis pas de ceux qui s’usent les rotules

À la foire aux prières d’une quelconque Église

Je garde mes genoux comme mes testicules

À l’abri de l’usure pour des œuvres précises

*

Je laisse aux fanatiques le soin d’avoir raison

Au matin de la vie le doute est mon allié

Aucun de leurs cantiques ne vaut une chanson

*

Et si sur les genoux vous m’entendez un jour

Faire comme une prière d’une voix susurrante

C’est que j’implorerai madame votre amour

**************

©Gilles St-Onge

Brumes d’hiver

Les navires rentrés les eaux enfin respirent

Elles laissent s’échapper un vaporeux soupir

Où les fumées de mer prémices de l’hiver

Annoncent la blancheur des glaces à venir

*

Les ruisseaux et les lacs le fleuve et les rivières

Avant de s’enfermer sous leur tapis de verre

Avant de s’engourdir avant de s’avilir

Font -on pourrait le croire- une ultime prière

*

Quand les cornes de brume cessent de retentir

On entend des anciens le chant des souvenirs

Les contes et les tambours des peuples millénaires

Au loin dans ce brouillard où les saisons chavirent

*

Répondant en écho tout autour sur les terres

Au-dessus des maisons comme des lys précaires

La fumée des foyers que le néant aspire

Fait penser au drapeau de ce pays à faire

*

Tel le fil d’arrivée d’une course à finir

Ou le dernier amour quand le temps veut s’enfuir

Et dont on désespère et qu’encore on espère

Pour exister un peu ou pour ne pas mourir

*

Le pays les amours les brumes de l’hiver

Sont du même frisson sur le dos de mes vers

Et le frimas des mots d’un poème à finir

Se fond sous la chaleur que ma plume libère

*
*
* ©Gilles St-Onge

Le courage

Comme toi jeune ami aux détours de ma vie

Au hasard du chemin à chaque carrefour

J’ai choisi le sentier qui semblait le plus court

Rien n’est plus naturel la jeunesse sévit

*

J’y ai perdu beaucoup j’y ai beaucoup appris

Les âmes par malheur aux méandres des jours

Aux lunes de tristesses aux nuits de désamours

S’empoissonnent parfois de leur propre folie

*

Partout les raccourcis mènent à l’éphémère

Tu le verras aussi au sortir de ta guerre

Tu sortiras meurtri de ce triste passage

*

Fort de cette blessure tu reprendras ta route

Et de ta cicatrice naîtra l’enfant courage

Celui qui grandira dans l’ombre de tes doutes

Vieillir

J’entends mes os craquer comme un chêne en hiver

Et sous mes pas pesants cette terre gelée

J’entends mes ans craquer sous les peines d’hier

Souvenirs soupesant les froides giboulées

*

Car mon soleil faiblit au soir où je m’allonge

Les jours ont rétréci à m’en glacer le sang

Sourde sourde saison entends-tu que je plonge

Dans le bassin glacé de nos rêves d’avant ?

*

Les chaudes illusions ont brûlé tout leur bois

Et ne crépitent plus en mon cœur rabougri

Il ne me reste plus de ces feux d’autrefois

Qu’une braise tiède et quelques cheveux gris

*

Mais la lugubre dame sans visage est sans cœur

Soit elle est trop pressée soit elle s’éternise

Puisqu’elle vient vers moi dans toute sa lenteur

Il me faut vivre encore avant que j’agonise

*

Je me ferai pommier à la fin de l’automne

Abandonnant ses fruits aux profits des enfants

Eux qui n’entendent pas l’horloge qui résonne

Et qui ne savent rien de ce qui les attend

*

©Gilles St-Onge

Rapatriement

On ne revient jamais de la guerre comme avant

Au retour de la mienne plus perdu que gagnant

J’avais le corps en peine et l’âme de l’errant

  *

Sur les champs de bataille dans les tranchées profondes

La mort et le remords trop souvent se confondent

À Verdun ou en soi les guerres sont immondes

  *

Et l’homme ou le pays sacrifie sa jeunesse

Au nom d’un idéal ou de fausses promesses

Chacun sous son drapeau camoufle sa détresse

        *

On ne revient jamais de la guerre comme avant

On devient quelle horreur un ancien combattant

Conjuguant au passé plus souvent qu’au présent

 ***

©Gilles St-Onge

Un homme à la mer

J’ai vogué bourlingué

Viraillé sans boussole

Sans compas ni sextant

Sans la carte au trésor

*

Balloté par les flots

Charroyé par la mer

Confondant dans la nuit

Le ciel et l’océan

*

Saoulé par les grands vents

J’ai pris – quelle illusion –

La ligne d’horizon

Pour le sommet du monde

*

Capitaine mutiné

Déserté solitaire

Faiseur de ronds dans l’eau

Entre écueils et récifs

*

Fuyant la déferlante

Et les vents favorables

Pour les mêmes motifs

La peur de toucher terre

*

Pour le marin perdu

Le chant d’une baleine

Celui d’une sirène

Ou d’un grand requin blanc

Sont un même concert

*

Qu’importe le navire

On ne peut à la fois

Tenir le gouvernail

Et guetter à la proue

*

Tous les vieux loups de mer

Rêvent d’un équipage

Qui serait à la fois

Une destination
***************

© Gilles St-Onge