Comme en vacances

J’irai flâner le long des quais

Errer longuement sur les plages

Regarder valser les marées

Et voir se noyer le rivage

*

J’irai pieds nus comme en vacances

Touriste éperdument perdu

Suivre des vagues la cadence

De cet incessant impromptu

*

J’irai voir quitter les bateaux

Chargés des rêves des pêcheurs

Comme jadis quand j’étais beau

Je partais à la pêche aux cœurs

*

J’irai rôder sur les falaises

Méditer devant l’estuaire

Vieillir troublé par le malaise

D’un fleuve qui meurt dans la mer

*

J’irai jusqu’au bout de la route

Comme on va au bout de sa vie

Faire le compte des déroutes

Maudire le temps qui s’enfuit

*

J’irai jusqu’au dernier village

Humer l’air salin de l’ailleurs

Et voir l’horizon sans ambages

Comme à l’heure de sa dernière heure

*

Et j’irai jusqu’au bout du monde

Et s’il le faut encore plus loin

Pour oublier une seconde

Toute l’ironie du destin

*

J’irai implorer la démence

Pour te chasser de mon esprit

Trop de toi dans trop de silence

Trop de brouillard dans cette nuit

*

J’irai où le voyage mène

Un vieux rafiot quitte la terre

Un vieux rafiot sans capitaine

Pour crier « une âme à la mer ! »

© Gilles St-Onge

Aurais-tu oublié ?

Aurais-tu oublié que les étoiles naissent

D’un soleil éclaté dans un cri de détresse

Qu’on peut voir en cherchant qu’une lumière luit

Dans l’opaque noirceur d’une trompeuse nuit

*

Aurais-tu oublié comment poussent les fleurs

Que l’âme est un terreau favorable aux couleurs

Le cœur un pavé noir qu’une pluie fait briller

Sous les grands lampadaires d’un sourire rencontré

*

Aurais-tu oublié comment faire du feu

Pour te chauffer les os et le corps et les yeux

Faire dans la nuit froide une flambée de rêves

Aux milliards d’étincelles que le néant soulève

*

Aurais-tu oublié que tout un univers

Se cache dans la main d’un matin ordinaire

Qu’en desserrant les poings l’oiseau d’hier s’envole

Emportant sur ses ailes les regrets qui t’étiolent

*

Aurais-tu oublié qu’il suffit d’un regard

Fruit d’une inattendue percée dans le brouillard

Pour entrevoir enfin au bout de l’horizon

Une berge un rivage une nouvelle saison

Les cerisiers sont noirs

Cadavres sans visage

Que l’on réduit en cendres

Les oraisons d’usage

Reportées aux calendes

.

Cortèges funéraires

Aux portes des mouroirs

Les vieux quittent la terre

Sans même un au revoir

.

La route est sans ambages

Le chemin sans méandres

La faucheuse sauvage

Sans cesse en redemande

.

Les condamnés grégaires

Suivent le long couloir

À l’allure portuaire

Menant au purgatoire

.

La presse nécrophage

N’en peut plus de répandre

Ragots et commérages

Dont la masse est friande

.

On compte les grands-mères

Sans le moindre mouchoir

Au printemps mortuaire

Les cerisiers sont noirs

À toi…

Certes elles sont jolies avec leurs yeux d’opale

Leurs sourires angéliques et leurs rires en rafales

Elles ont les talons hauts des courbes déloyales

Des ongles à rougir et tout un arsenal

*

Elles portent la jeunesse d’un air triomphal

Comme une robe neuve pour les grands soirs de bal

Se fardent des lumières des jours de carnaval

Insouciantes du temps qui pourtant les ravale

*

Elles ont le rose aux joues et le cœur au présent

Elles ont des cerisiers les couleurs du printemps

Que la branche abandonne au premier coup de vent

*

Ne pleurez pas la fleur que vous étiez avant

Elle n’était qu’un prélude au miracle du temps

Qui a su faire de vous ce fruit que j’aime tant

Les fleurs nouvelles

Si quelques fois la mort est belle

Comme un drap blanc sur les labours

Le soleil qui meurt dans le jour

Ou l’envolée de l’étincelle

.

Rien n’est plus laid que l’agonie

Que cette fleur coupée qui fane

Le marteau qui tombe et condamne

L’enfant à la peine de vie

.

Il en est ainsi de l’avril

Dans les grands jardins de béton

Quand s’éteint la morte saison

Le printemps même est sale en ville

.

Les grands espoirs se retiennent

D’être ce qu’ils devraient être

Sachant s’abstenir de promettre

La pâque suivant le carême

.

Sous l’herbe grise pourtant émergent

Ci et là des pousses de vie

Des marguerites ou des orties

Et tourne tourne le manège

***

On met son grand manteau d’hiver

Quand le froid vient nous mordre l’âme

Après avoir baissé les armes

On met tous son cœur en jachère

.

Et le temps nourrit de nos pleurs

Un terreau prêt à accueillir

Le regard qui nous fait frémir

D’un chardon ou bien d’une fleur

.

Chaque brindille est un mystère

Et l’écorché toujours frileux

Qui tangue entre craintes et vœux

Hésite à travailler la terre

.

Dis-moi Voltaire mon ami

Faut-il cultiver son jardin

Même au prix d’un futur chagrin

Tant de pépins gâchent les fruits

.

Les roses sont souvent si belles

Dans le parterre d’un nouveau jour

Est-ce folie est-ce bravoure

L’amour est une fleur cruelle

.

©Gilles St-Onge

Fouilles en soi

Nous voilà donc en quarantaine

Au printemps des inquiétudes

Réunis dans nos solitudes

Par nos écrans anxiogènes

Chacun de nous barricadé

Emmuré dans sa forteresse

Encabané dans ses richesses

Éperdu dans sa pauvreté

Mais tous ces murs qui nous protègent

Des assauts du monde extérieur

Ne peuvent rien contre les peurs

Qui depuis toujours nous assiègent

Nos murs sont devenus miroirs

On ne peut plus les éviter

Tout le bruit du monde a cessé

On n’entend plus que son histoire

Les vents violents de la tempête

Soufflent les poussières du temps

Qui recouvrent notre présent

et les hiers sortent la tête

L’oubli est une pyramide

Un tombeau pour nos souvenirs

Pour les souffrances à enfouir

La nécropole du sordide

Les vents violents de la tempête

Permettent d’ouvrir un passage

le chemin d’un pélerinage

Pour le marcheur au coeur honnête

Et tout au bout du corridor

Entourant ses vieilles blessures

Ses deuils ses peines et ses cassures

Il y retrouve ses trésors

Enfouis….

À chacun ses hivers

La vie est ainsi faite

Que d’un novembre à l’autre

Malgré les certitudes

L’hiver nous inquiète

Pareil à la mésange

Sur les bras faméliques

D’un bouleau effeuillé

Que le nordet dérange

La question du jour

Est celle de demain

Des rigueurs à venir

Des écueils du parcours

Et pendant que l’oiseau

Se ronge les saisons

Les griffes agrippées

À chaque jour nouveau

Je cherche dans la neige

Les premières brindilles

Les premiers brins d’un nid

Que l’espérance agrège

Il y a pour le rêveur

Dans la blanche étendue

Froide et anxiogène

Des millions de couleurs

Que l’artiste saisit

Pour en faire un tableau

Une chanson bohème

Ou une symphonie

L’hiver pour le poète

Est une page vierge

Le journal du monde

Des extases secrètes

© Gilles St-Onge

image: Aquarelle d’ Édith Cubérés-Dutertre

Fausse joie

Au centre-ville un faux sapin

Succédané de conifère

Menteur tel l’avril en hiver

Pervers comme un geste malsain

Un glaive transperçant le ciel

Laid comme une fracture ouverte

D’un monde qui court à sa perte

Haut comme la tour de Babel

Trop éclairé tuant la lune

Et les étoiles et la lumière

Et les amours ordinaires

Et les yeux d’une belle brune

Un arbre qui n’a pas d’écorce

Où pouvoir y graver nos noms

Pour parler en cette saison

Un simple cœur n’a pas la force

Au centre-ville près du sapin

Un amoureux qui se languit

Un malheureux un sans abri

Une fillette qui tend la main

Et des passants qui se bousculent

Le cœur comptable et dirigé

Le cœur fermé trop occupé

Les bras chargés de ridicule

Aimer c’est haïr

Il faut beaucoup d’amour pour affronter le vent

Et tout autant de cœur pour porter dans son flan

La mémoire de nos pères vendus au plus offrant

Et beaucoup de tendresse pour trouver la vaillance

Il faut beaucoup d’amour pour détester autant

.

De s’opposer aux bruits qui couvrent le silence

Des êtres asservis par quelques récompenses

Cette sorte de tendresse s’appelle résistance

Il faut aimer sa mère ses enfants son voisin

Plus que sa propre vie pour se lever enfin

Et crier c’est assez ce monde nous appartient

.

De l’amour naît la haine comme du jardin la fleur

La révolte fleurit sans crainte et sans pudeur

J’aime de tout mon être et c’est mon grand malheur

.

©Gilles St-Onge

Passage à vide

Quand le cœur est chagrin

Il dessine au fusain

Sur une feuille grise

La froidure et la bise

L’angoisse du destin

Les rêves qui le brisent

Gisent devant l’église

D’un village païen

Où même Dieu s’abstient

De poser ses assises

Quand le triste refrain

D’un orage sans fin

Nous entraîne et s’enlise

Loin de la terre promise

Tout au bout du chemin

Le jour se lève en vain

Quand la lune s’éteint

Car la peine tamise

La lumière qui grise

La nature au matin

Mais c’est une sottise

De faire sa devise

De « rien ne sert à rien »

Le monde va et vient

À son heure à sa guise

Car le temps des cerises

De tout temps rivalise

Avec le temps de chien

Et la beauté revient

Nous ouvrir sa valise